« Slow média » ou l’éloge de la lenteur pour un journalisme différent

À contre-courant des tendances journalistiques actuelles, le « slow journalism », s’impose dans le paysage médiatique. Cette technique dissidente qui prône un retour à la lenteur tend à devenir un véritable idéal de travail pour la profession.

La lenteur est à la mode. Elle est vendue comme remède à l’obésité, proposée comme alternative à notre société, et même fêtée par le Québec tous les 21 juin, journée la plus longue de l’année. Le message est clair, ralentissons la cadence. En journalisme également. Alors que tout va toujours plus vite, que les réseaux sociaux et le micro-blogging dictent le rythme de l’information, plusieurs rédactions se mettent au « slow journalism », le journalisme lent.

C’est ainsi qu’on a pu récemment apprécier la nouvelle maquette de l’Express qui privilégie les longs formats, et constater que la version française de Vanity Fair s’est emparée du concept. Dans l’édito du premier numéro, Michel Denisot propose de ralentir « là où le temps s’accélère » afin « d’aborder différemment la vision du monde qui nous entoure ».

Eléphant, Long Cours, We demain, En Fait… une vingtaine de médias en France ont fait le pari de la lenteur. Un nouveau format a émergé, le mook, contraction entre « magazine » et « livre » en anglais, « book ». Cette nouvelle formule combine un contenu similaire à celui des magazines, dans un support esthétique, aux illustrations travaillées. Il  privilégie les longs reportages, les articles approfondis et les analyses, quitte à ne sortir que deux ou trois fois par an. Depuis la création en 2008 de XXI, ce modèle est largement adopté par la presse francophone.

La volonté de ralentir l’information découle d’une profonde envie des journalistes, comme des lecteurs, d’apprécier du contenu différent de celui que l’on rencontre dans les médias traditionnels. Pour Nathalie Cobbaut, rédactrice en chef du mook belge 24h01, on assiste à une réelle « demande et un désir de prendre un peu plus de temps pour traiter certains sujets plus en profondeur ». La nouvelle revue a reçu un excellent accueil du public à la sortie du premier numéro en octobre dernier.

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Deux premières pages d’un reportage du mook 24h01

Prendre le temps en confiance

« Sans critiquer ce qu’il se fait dans la presse généraliste, il y a une telle instantanéité et profusion de l’information, que celle-ci n’a plus vraiment de relief », continue Nathalie Cobbaut. Avec le développement des chaînes de télévision d’actualité en continu et des réseaux sociaux, chaque nouvelle a quasiment le même degré d’importance que la précédente et la suivante. La hiérarchie de l’information s’en voit perturbée et peut contribuer « à la perte du lecteur ». Celui-ci a tendance à faire son marché, composer lui-même sa sélection d’articles qu’il priorise comme il l’entend. Les choix des médias traditionnels sont remis en question.

Faire du « slow journalism », c’est rétablir cette hiérarchie médiatique. « On ne traite pas tous les sujets car nous n’avons pas vocation à couvrir toute l’actualité », rappelle Nathalie Cobbaut qui estime que « le lecteur a besoin de s’impliquer dans l’information que nous mettons en valeur par nos choix éditoriaux ». Le mook s’oppose ainsi clairement à la nouvelle temporalité. La profondeur des analyses fournies par les longs formats impose un ralentissement des lectures. La confiance en une seule source, mise en défaut par la nouvelle fragmentation de l’information, est également de retour.

Trop d’informations, trop vite

Pourtant, la revendication à la lenteur semble toujours dissidente. Face à la vitesse, qui produit une forme d’extase facilement accessible grâce à la technologie, nos médias traditionnels ont fait leur choix. Cette volonté d’accélérer le rythme est un réel symptôme de notre société de consommation, où l’information est un produit qui périme plus vite qu’il n’est fabriqué. On peut alors se demander si le « média lent » n’est pas tout simplement une réaction globale à la déplaisance du lecteur vis-à-vis de la rapidité vertigineuse de notre société. Plus qu’une envie, une nécessité pour celui-ci de reprendre le contrôle sur le temps.

« L’ensemble de la société va de plus en plus vite, c’est insoutenable à long terme de s’engager dans des rythmes pareils. Au niveau de l’information, on a également cette contamination », continue la rédactrice en chef de 24h01 qui voit depuis une vingtaine d’années « le volume de texte consacré à un sujet réduire de plus en plus ». Cette accélération à un impact négatif sur la place de l’information et de sa prise en considération par le lecteur. Certains résistent, comme Yann, 26 ans. « Je préfère être abonné a un mensuel qu’à un quotidien, pour pouvoir lire à mon rythme et quand je le souhaite » témoigne-t-il.  Particulièrement pris par le temps, le jeune étudiant en science politique apprécie ainsi de « ne pas se sentir pressé » par l’information reçue et consommée.

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Pas de ralentissement sans vitesse

« La presse écrite mise sur une information à consommer rapidement, c’est une erreur », estime Nathalie Cobbaut. L’écrit « devrait laisser davantage les radios et télévisions jouer de l’instantanéité, et se concentrer un peu plus sur l’approfondissement et le décodage ». À l’heure de la mutation médiatique, allons-nous vers une séparation nette des supports sur le critère de la temporalité ?

Il y a de la place pour tous types de journalisme, rapides ou lents, qui doivent cohabiter, sans pour autant s’exclurent ni radicalement s’opposer. Les consommateurs de médias rapides apprécient également de pouvoir s’informer de manière plus lente. Selon une récente étude d’AudiPresse sur l’audience de la presse en France, chaque jour, un français sur deux lit un magazine. Preuve que malgré l’expansion de l’information en temps réel, les formats plus longs sont toujours autant prisés.

Et sur le net, qu’en est-il ? Peut-il porter des médias alternatifs « lents » ? Si ceux-ci commencent à émerger sur la toile, les habitudes des lecteurs ne suivent pas encore. Yann, digital native, a beau être ultra connecté, il associe internet à un traitement de l’information rapide. « Je ne m’intéresse que très rarement au fond sur internet et me méfie toujours des articles d’analyse », témoigne-t-il. « Je comprends qu’il existe de longs formats, comme le pure players Médiapart, mais le web doit diffuser les informations rapidement ».

Pourtant, Internet pourrait être un réconciliateur des disparités temporelles. Il peut réunir une multiplicité d’approches journalistiques sur un même support. Le « slow média » perd en sens et en force sans la co-existence d’une information concise et rapide. La lenteur pallie les faiblesses de la vitesse, et inversement. Une association équilibrée des deux temporalités s’avérerait riche, tant du point de vue de la fabrication de l’information que de sa réception par le lecteur. Une formule que seul un support comme internet semble être apte à composer.

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